Avertissement : Toute ressemblance avec une situation actuelle ou à venir bientôt, n'est que fortuite.
Les cornus et les couillus…
La pause estivale pouvait venir. Joanny dominait moins que l'année dernière, mais tout de même il était en tête. Sauf grosse désillusion, cette année encore il serait champion du monde de Moto2. Il savourait ce temps très particulier. Encore une étape franchie, et l'avenir devenu très clair pour les 24 prochains mois : il montait en Moto GP et piloterai une Suzuki de Tech2. Quatre semaines en toute tranquillité à savourer cette situation nouvelle qui bien qu'attendue n'avait rien de garanti.
Bien sur il n'était pas naïf et il savait que rien ne serait facile, mais à cette heure tout les espoirs étaient permis, tous les rêves. « Vorfreude ist doch die schönste Freude » disent les allemands : « Se réjouir à l'avance est le plus beau plaisir »… C'était son programme pour ce temps de repos. Jouir du temps présent, un temps plein de promesses.
Le fait d'être un couillu avait fini par le servir. Depuis quelques années des vendeurs de boissons énergisantes se livraient à une guerre sans merci. Ils voulaient bénéficier de l'aura de la course moto qui occasionnait pensaient-ils de grandes retombées commerciales. Éjectée de la F1par le Chien Sombre, la marque au Taureau Vert s'était rabattue sur les deux roues ou elle avait retrouvée le Monstre Rouge installé depuis longtemps. Ils se partageaient le sponsoring des teams à peu près à égalité. Ceux qui bénéficiaient des largesses du Taureau Vert était appelés les « cornus », et les affidés du Monstre Rouge bénéficiaient d'un préjugé favorable concernant leur anatomie, ils étaient les « couillus ». La situation de Joanny au travers de beaucoup de péripéties avait donc été historiquement marquée par le rouge, et les Tech2 arboraient sur leur carénage le triple zigouilli écarlate. Un rapprochement qui avait été utile.
…
La reprise ne fut pas facile et Joanny dut revenir sur terre. Ou plutôt dans le gravier. Le joint spi de sortie de boite avait laissé échapper quelques gouttes d'huile qui avaient fini par se retrouver sur le pneu. Il était alors en tête et il ne restait que deux tours à couvrir… Son avance au championnat avait fondu, mais tout restait possible et il était encore en position de force. Le moral était intact.
Lors du grand-prix suivant il finit second. Paradoxalement, ce presque bon résultat lui fit très mal : en fait il avait bien vu sur la piste qu'il ne pouvait rien contre le premier. Il n'avait jamais été en position de le menacer. Avait-il perdu pendant le temps émollient des vacances, son envie de vaincre, sa hargne ? Le doute s'insinuait maintenant.
Dans le temps qui suivit il perdit pied peu à peu, et maintenant il naviguait dans le deuxième peloton en compagnie des Zéfir les motos2 de Tech2, c'étaient des machines moyennes qui n'avaient jamais gagné. Il marquait des points à chaque grand prix mais peu, trop peu : avant le dernier grand-prix, il n'était plus que deuxième au championnat. Pour être champion du monde à nouveau, il n'y avait plus qu'une seule solution : gagner et maintenant cela semblait sinon impossible en tous cas improbable.
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Il méditait cela, en rentrant chez lui. Quelque chose lui paraissait bizarre, il ne savait pas trop quoi. Oja le patron de l'écurie, était très tranquille et ne lui mettait pas la pression, il préparait déjà la prochaine saison, l'arrivée du nouveau petit prodige qui remplacerait Joanny. Les choses étaient claires, signées. Un bon pour remplacer un bon, mais un cornu pour remplacer un couillu.
Et si…
Arrivé à la maison, Joanny s'installa à son bureau sortit son contrat et le relut. Quelque coup de téléphone suffirent.
…
Dernier Grand Prix, Grand Prix du Nigeria. C'était la première fois qu'il se courrait. Il avait été placé en fin de saison, le dernier Week-End de novembre pour tenir compte d'impératifs météorologique. A ce moment la saison des pluies se terminait et les températures étaient encore supportables.
Le circuit de Lagos était tout neuf, il témoignait de la réussite économique enfin au rendez-vous sur ce continent. Le grand prix avait été rajouté in-extremis au calendrier, dans le courant de l'hiver précédent, juste avant les premiers essais officiels à Sepang. Il avait fallu vaincre beaucoup de résistances, beaucoup d'inerties, mais enfin, un peu « à l'arraché » se tenait un Grand Prix en Afrique équatoriale…
En ce jeudi, premier jour consacré aux essais libres, les journalistes étaient encore un peu endormis et pourtant c'était un vrai coup de théâtre qui se mettait en place. Chez Oja on ne sortit qu'une Moto2. Le contrat de Joanny avait été signé dix huit mois plus tôt, avec des dates et des principes habituels. Il avait pour échéance le Grand-prix de Valence, l'ancien dernier grand prix. Joanny était donc hors contrat depuis la mi novembre, aucun avenant n'ayant été signé.
Joanny avait repris sa liberté, et Oja n'avait pas jugé utile de le remplacer.
Chez Tech2, la moto de pointe, était au rendez-vous comme d'habitude, la seconde moto celle confiée de temps à autre à des « wild card » était là aussi.
Elle était superbe. Rouge, toute rouge, sans aucun sticker. Les roues étaient dorées et la bulle fumée. C'était saisissant, on avait oublié dans le paddock combien la simplicité et la sobriété pouvaient être porteuses de beauté et de classe.
Le pilote lui aussi faisait dans la discrétion élégante. Un cuir noir et un casque gris métallisé. La encore aucun sticker : Joanny hors contrat.
Il commença à tourner et rien ne semblait changé pour cette machine, elle tournait toujours aux environs de la dixième place quel que soit le pilote.
Mais tout de suite Joanny comprit qu'il avait bien fait de tout bouleverser. C'était comme si on lui avait rebranché son shifter façon Marquez 2012, La moto marchait et il n'avait pas besoin de forcer son talent pour suivre les meilleurs.
Il se qualifia en sixième position. La course n'eut rien d'épique, Joanny était en colère, il avait un couteau entre les dents, il démarra façon boulet de canon, et domina outrageusement. En fait c'est le crack qui fait la bonne moto, les Zéfir pouvaient gagner, elles avaient fini par le faire.
Joanny champion pour la deuxième et dernière fois en moto 2. C'était encore un couillu qui remportait ce titre qui ne leur avait jamais échappé.
Les dirigeants du taureau vert faisaient triste mine. Malgré tout leurs efforts, toutes leur manipulations, leur marque ne faisait pas mieux que deuxième, ils n'avaient pas su vaincre le signe indien.
Oja lui aussi était contrarié, inquiet. Il avait commandé un superbe hospitality vert, et maintenant que les choses ne s'étaient pas déroulées comme prévu, il ne savait pas trop comment il allait le payer. La commission en vue de laquelle il avait bidouillé l'électronique de sa machine de pointe ne serait pas versée.