Quand Julien débarqua cette année là sur le Grand-Prix de France, il n’eut pas vraiment besoin de se forcer pour se faire petit, il l’était. Non pas par sa taille qui était tout à fait moyenne, mais plutôt par son organisation et sa logistique qui laissèrent sceptiques les plus optimistes. Son palmarès aussi semblait inexistant, comment avait-il fait pour dégotter cette foutue wild card ?... A quoi pensait donc la fédé en lui accordant cette faveur après laquelle courait une vingtaine de fauves tous plus saignants les uns que les autres ? En Moto 2 en plus.
Avant de continuer il faut évoquer la personnalité étrange du chef d’écurie, en fait le responsable de tout. Il s’appelait Ira-Alain Arnaud, IAA pour les intimes. C’est lui qui menait tout, qui concevait tout, qui veillait à tout. Il n’était pas vraiment connu du microcosme des courses, mais tous avaient entendu parler de lui, de ses idées étranges à la limite du farfelu. Pourtant rien dans sa présentation ne le laissait présager : châtain, cheveux courts, jean délavé et pull marin bleu marine.
Par contre l’équipage dans lequel il se présenta à l’entrée du paddock provoqua une rumeur qui résonna jusqu’au dernier étage de la tour. Pensez donc , un Renault 2087 dans son jus. Le seul truc paraissant neuf étant la bâche. Les bâches devrait-je dire, celle de la cabine et celle du plateau. IAA s’excusa : « Je n’ai pas eu le temps de refaire la peinture, j’ai préféré peaufiner la bécane. Mais vous savez c’est un camion historique il a fait la grotte d’Ouvéa en 1988, ce fut d’ailleurs la dernière sortie des 2087 (prononcer vingt-quatre-vingt sept)qui étaient déjà tous bien fatigués ». Ce qu’IAA ne précisa pas, c’est que le grand avantage de ce poids pas vraiment lourd était de pouvoir être conduire avec un permis voiture. Personne dans l’équipe n’avait mieux.
L’équipe… En fait ils étaient deux IAA et son gendre, Lucien . Lucien avait pris une semaine de congé car sa femme l’avait convaincu que ça améliorerait ses relations en général difficiles avec son beau père. Il avait donc quitté et sans vrais regrets, pour quelques jours, son poste de graisseur sur un méthanier de Total . D’où le logo qu’il arborait sur sa combinaison usagée. Tout au long du grand prix les deux hommes s’en tinrent à leurs habitudes : un minimum de conversation permettait d’éviter que le ton monte et que les injures ne fusent trop vite. Le menu sonore était donc limité en général à de simples monosyllabes.
Bien évidemment ils n’avaient pas eu droit à un stand et ne l’avaient même pas désiré. Ils installèrent leur tente. En fait un barnum qui avait longtemps abrité un mini circuit de location de quads électriques pour enfants. Par mesure d’économie ils en avaient gardé les décorations et les illuminations qui les éclaireraient si ils avaient à faire de la mécanique la nuit. Pour recouvrir le sol inégal et ne pas perdre trop de rondelles, ils le recouvrirent d’une bâche achetée 3€50 à Brico Dépôt. Ils discutèrent un moment pour savoir quel coté serait dessus kaki ou bleu ? Le chef a toujours raison, ce fut bleu.
Julien arriva sur ces entrefaites. Lui ne fut pas remarqué car tous le prenaient pour quelqu’un d’autre. Il traversa le paddock dans sa Méhari avec pour seule protection contre les éléments son toit de toile. Son labrador fièrement assis sur le siège passager. Il avait gardé de ses origines rurales des goûts et des passions simples : heureusement que le Grand-Prix de France se court au printemps car si il avait lieu après le 15 Août , Julien ne serait pas venu, pas question de manquer une battue au sanglier !
Ils se mirent à trois pour décharger la moto car il est bien haut le plateau du 2087. Elle se présentait sobrement, uniformément recouverte de bleu sombre. Elle semblait bien finie de proportions et de formes plutôt standards. Extrêmement bien carénée avec une entrée d’air pour le radiateur très étroite et très haute. Les plus avertis des observateurs pensèrent à une erreur majeure : la surface de ce trou représentait à peine les deux tiers de ce que les autres, les bons, utilisaient. Cette moto ne ferait jamais trois tours d’affilé, son moteur aurait explosé avant.
Les techniciens de haute volée gardèrent leurs réflexions et leurs calculs pour eux. Mais il y avait autre chose, le détail qui tue. Le cache qui recouvrait le réservoir en alu et la boite à air était équipé de deux magnifiques grippe genoux en caoutchouc qui avaient été prélevés sur une Monet-Goyon des années 50. Original et typique de l’esprit « spécial » d’IAA. Pas besoin d’épiloguer, tout est dit, il ne reste plus qu’a rigoler… fort.
La première surprise passée chacun vaqua à ses occupations en ne jetant que quelques regards en coin à ces rigolos. Seules les messes basses allaient bon train : décidément la fédé fait n’importe quoi et jette notre argent par les fenêtres.
Vint la première séance d’essais non chronométrés. Julien revêtit sa combinaison elle était elle aussi de couleur unie, gris métallisé, il l’avait achetée d’occasion à un ancien coureur : C.B. elle était trop grande pour Julien et faisait quelques plis mais ce qui surprenait le plus, c’était l’absence de sliders. Toutes les protections internes étaient à leur places mais l’extérieur était absolument lisse… Euh ?
La moto couvrit trois séries de vingt tours. Elle n’était pas classée dernière mais les trois qui avaient tourné moins vite avaient une excuse : avaries mécaniques. Par contre la bécane d’IAA s’avéra être un vrai métronome régulière et fiable. Lors de la deuxième séance on la regarda un peu plus et l’on comprit pourquoi le moteur ne chauffait pas malgré le petit trou du radiateur : a chaque freinage et plus généralement lorsque la suspension avant s’enfonçait, les deux flancs quasiment plats du carénage se cintraient car ils étaient reliés par une bielle au bas de la fourche. L’ouverture doublait alors de surface gavant le radiateur. La bonne aérodynamique permettait une vitesse maximum exceptionnelle sur la longue ligne droite.
Un mot pour évoquer le style de pilotage de Julien. On ne peut même pas dire qu’il pilotait à l’ancienne, en fait il ne bougeait quasiment pas , ne sortait jamais un genou ni un coude. Il se relevait seulement lors des freinages et se recouchait instantanément sur le réservoir. Les fesses toujours bien calées et dans l’axe du fond de selle. Seules les extrémités de ses membres bougeaient pour commander à la mécanique. Élégant mais absolument pas spectaculaire et que dire de l’efficacité ?... En fait Julien était à l’origine un cavalier de dressage, quand il montait ses chevaux il fallait que rien ne soit perceptible extérieurement la bête devait obéir sans que l’on sache exactement à quoi . Dans les quelques interview auxquels il répondit, IAA avait même précisé que c’est pour cela qu’il avait choisi Julien, lui au moins était bien adapté au style de conduite que nécessitait un engin un peu différent.
Grâce à son excellente vitesse de pointe, Julien réussit à se qualifier en trente deuxième position.
Puis vint la course. Pendant les deux premiers tours personnes ne comprit que les choses avaient changé. Dans le tour suivant julien sauta deux de ses prédécesseurs. Il bataillait maintenant en queue du peloton principal. Avec aisance et régularité il se mit a remonter les autres un par un à raison de deux ou trois par tour, il les passait systématiquement dans la ligne droite mais après les autres n’arrivaient pas à revenir.
De l’extérieur les premiers qui comprirent furent les photographes massés aux abords des virages. Vu de derrière Julien était bien dans l’axe de sa selle et bien derrière son réservoir, les deux genoux derrière les flancs du carénage, mais la selle n’était plus dans l’axe de la moto elle s’était déplacée vers l’intérieur du virage entrainant avec elle le réservoir et le pilote et certainement toute une foule d’autres choses, le flanc du carénage comme poussé s’évasait vers le haut protégeant toujours le genou du pilote. Le pilote ne bougeait pas mais la répartition des masses évoluait quand même permettant une bonne adhérence des pneus, au moins équivalente à celle des contorsionnistes déhanchés laissant trainer leurs jambes à tous vents.
Il revint sur les meilleurs, en ligne droite les meilleurs ne font pas la différence, Julien les sauta un par un sans donner l’impression de forcer. Sans donner aucune impression d’ailleurs. Arriva le dernier tour, le dernier virage, la dernière ligne droite. Julien allait finir second.
Mais une demi ligne droite lui suffit : Julien premier, Zarco second.
Je vous laisse imaginer le délire. Les journalistes meute encore plus hurlante qu’a l’accoutumé se précipitèrent sur le cavalier pour l’assommer de questions. Le plus avisé fut Marc Seriau
(NDA : en fonction du média qui publie cette nouvelle, le nom du journaliste peut être changé), il alla trouver immédiatement IAA :
- Quel est le secret de ta machine ?
- Bien en fait c’est plutôt simple. Il y a quelques temps, j’avais vu dans la presse des photos d’un café racer spécial réalisé par Krugger. Toute la géométrie de la moto pouvait changer à l’aide de petit moteurs
- Ah oui, je me rappelle, mais ce n’était pas vraiment une moto de course ?
- J’ai poussé l’idée un peu plus loin, un faux châssis arrière est articulé sur le vrai châssis selon un axe longitudinal situé perpendiculairement à celui du bras oscillant et juste au dessus de ce dernier. Tout ce qui peut être relié au reste de la moto par des liaisons souples et positionné sur ce faux châssis : pilote, réservoir, électronique ... la position de ce faux châssis est commandé par un gros moteur pas à pas dont la commande est assurée par un boitier électronique.
- Mais qui décide et comment et de combien doit s’incliner le faux châssis ?
- Le pilote, je devrais dire le cavalier… Car des capteurs placés dans les grippe genoux de la Monet Goyon mesurent la pression que le pilote exerce avec sa jambe. Une pression du genoux extérieur au virage et le faux châssis s’incline vers l’intérieur du virage. Plus le pilote appuie fort plus cela va vite.
- Aux essais cela ne fonctionnait pas ?
- Non, mais il ne s’agit pas d’une panne, mais de stratégie : Je ne pense pas que la DORNA autorisera longtemps un tel système car il fait trop d’ombre à certains. On ne verra jamais cela en moto GP. Donc je ne voulais pas qu’il soit interdit avant d’avoir vraiment existé…
Le reste vous le savez. L’interdiction prononcée le lundi suivant, et cette victoire restée unique et au sens propre sans lendemain. Lucien retourna graisser son pétrolier. Julien oublia vite, il fallait déjà préparer l’ouverture de la chasse. IAA passa à autre chose et construisit d’autres merveilles, mais cela vous le savez aussi.
Jean-Marc Donnat
PS : Cette histoire est entièrement imaginaire et je le reconnais légèrement « capillo tractée » par contre ce qui est parfaitement vrai c’est que je possède un Renault 2087 que je souhaite vendre. Première mise en service : 1964, jamais allé à Ouvéa, 30000 km selon le compteur, freins refaits batteries neuves (24v), phares et feux neufs, 4 pneus neufs, 2 sièges baquet neufs, ancien véhicule de pompier équipé d’une cuve de 500 litres transformée en coffre à outils.
A immatriculer en véhicule de collection.
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