Comme d'habitude Elon s'était levé à deux heures du matin. Mal réveillé, il avait juste avalé un vague café, enfilé ses vêtements de la veille parce qu'il n'avait plus rien de propre dans l'armoire. Pour préserver l'avenir il préleva le sommet de la pile de linge sale dans la salle de bain et fourra le tout dans un sac, il s’arrêterait à la laverie...
Il était à la bourre pour aller au boulot. Sa garde commençait à 3 heures et finissait à 12 heures. Après la période obscurantiste ou l'on travaillait 12 heures par jour, il était heureux depuis 5 ans et la fin de la tyrannie de Linette de ne plus travailler que 9 heures quotidiennement. Son boulot était super intéressant et varié, de plus sans aucune responsabilité et il gagnait bien sa vie.
Il était pilote de drone chargé du nettoyage zoologique de Paris.
Certains avaient trouvé bon de réintroduire le loup en France en sous estimant notoirement la capacité à se reproduire de ces bestioles. Ce fut assez difficile de s'en débarrasser définitivement mais finalement dans les campagnes on y était arrivé. Par contre entre temps les loups étaient entrés dans Paris ou ils avaient trouvé une certaine forme de refuge squattant les parkings désaffectés depuis l'abandon des voitures et se nourrissant de ce qu'ils pouvaient trouver : chiens errants, chats abandonnés... Mais ces animaux restés sauvages étaient agressifs pour les hommes. On avait sécurisé de vastes zones mais il était impossible de tout contrôler et un écosystème dégénéré s'était peu à peu installé. Ils avaient été chassés mais assez mollement. Certains préféraient le risque des loups au trouble des SDF qu'ils avaient remplacé. Le vrai problème c'étaient les enfants, il ne fallait jamais les laisser seul car sinon ils risquaient gros.
Le Quartier Général de la lutte qu'il fallait maintenant mener contre ces animaux avait été installé dans « Challenger » l'ancien siège social de la défunte compagnie Bouygues à Saint Quentin en Yvelines. Bâtiment racheté par la sécurité civile. C'est là que bossait Elon. Une multitude de caméras de surveillance avaient été installées dans tous les recoins de la gigantesque agglomération. Elles envoyaient des images en permanence et ces images étaient interprétées à l'aide de logiciels experts dérivés de ceux développés un siècle plutôt par la NSA. Quand un loup était repéré, cela déclenchait une alarme dans la salle ou Elon montait la garde. L'image renvoyée par la caméra s'affichait devant lui. A lui de gérer maintenant la situation. Il choisissait le drone qui tactiquement semblait être le mieux situé en prenait le contrôle et se mettait en chasse du canidé.
Les drones adaptés à la ville en général et à cette mission en particulier étaient des engins à sustentation magnétique se déplaçant à environ quarante centimètres du sol. Grosso modo à hauteur de garrot de la bête. Il n'était pas question d'utiliser des armes à feu vu le contexte et de plus ces armes n'existaient quasiment plus. On avait donc perfectionné le Taser et maintenant il était mortel à tous les coups. Elon prenait en chasse l'animal essayait de se positionner le mieux possible, et déchargeait alors son arme sur la bête qui en réchappait rarement. Dans les cas difficiles, ils se mettaient à plusieurs pilotes mais finalement c'était assez rare. Plus tard, ayant été repérée précisément, la dépouille serait ramassée mais cela ne concernait plus Elon.
Elon s'était maintenant installé dans son Scouch, ou il avait casé son balluchon. Un scouch c'était ce qui avait remplacé les motos. Le mot venait de la contraction de « scooter » et « couché » c'était un engin à deux roues dont le pilote était installé en position semi couché. Les batteries d'accumulateur étaient installées dans le dos du pilote et occupaient un volume non négligeable. L'autonomie était d'environ trois cents kilomètres, c'était très largement suffisant. Il aimait bien son scouch, c'était une machine avec une carrosserie néo classique évoquant les anciens avions de chasse, le poste de pilotage lui aussi rappelait les regrettés Northrop F5.
Il lui fallait maintenant parcourir les 60 km qui séparaient sont domicile d'Arpajon de Saint Quentin. Étonnamment, ce matin cela roulait très bien, il avait même l'impression d'être seul. Depuis que pour éviter les bouchons les entreprises avaient été sommées de répartir leurs horaires de travail sur 24 heures, il n'y avait plus jamais d'encombrements, mais il y avait une circulation soutenue à toute heure du jour et de la nuit. Il arriva vers Massy et prit l'A1O. Le portique de signalisation divisé en trois zone bleu, blanche et rouge clignotait.
-Merde ! Le Libertaday...
Il n'avait pas encore l'habitude de ce nouveau jour férié et la date du 13 septembre ne déclenchait encore aucun réflexe. C'était pourtant la nouvelle journée de la fête nationale en souvenir de la manifestation monstre de 40 millions de français qui convergeaient vers le siège du gouvernement pour déposer Linette et abolir son régime dictatorial. Peu courageuse elle s'était envolée juste à temps et s'était réfugiée aux environs de Reykjavík au Groenland ou elle déversait encore des flots de bile noire qui n'atteignaient plus personne ; vaut mieux ça que du sang, et du sang il n'y en avait pas eu. C'était cela que l'on célébrait en fait.
Le 13 septembre, jour férié.
-Merde, merde, merde répéta Elon. Il n'avait aucune raison d'aller travailler...
Il hésitait entre colère et confusion, mais finalement avec la capacité de réagir qui le caractérisait il esquissa un demi sourire puis ce fut une vraie joie qui le remplit : une journée de liberté, une journée hors agenda, une journée entière à improviser ce qu'il voulait...
« Cordouan » murmura t-il...
Il sortit de l'autoroute et gagna la plate-forme ferroviaire de Massy, établie sur l'emplacement de l'ancienne gare TGV. Il se présenta au guichet en fait les gens disaient péage car cela ressemblait aux anciens péages d'autoroute. L'automate reconnut sa machine et proposa une liste de destinations possibles. Il choisit Bordeaux. Il avança sur le quai et s'engagea à niveau sur le plateau du wagon et s’arrêta sur l'emplacement 23. Sa machine fut amarrée automatiquement grâce au harpon standard. La navette pouvait charger jusqu'à 50 véhicules divers qui devaient tous être équipés du harpon standard. A partir de cet instant, son scouch allait être rechargé énergétiquement. Il se dirigea vers la zone voyageur qui pouvait accueillir jusqu'à 150 personnes. Les portes latérales furent rabattues et la navette prit son élan. Une autre allait prendre sa place. La compagnie ferroviaire tenait un rythme de une navette toute les 10 minutes, 24 heures sur 24, 7 jour sur 7. C'était le contrat de service sur lequel elle s'était engagée.
Au départ, ces navettes avaient été aménagées sur d'anciennes rames de TGV à un seul étage qui arrivaient à bout de potentiel. Suite au succès de la formule, il s'agissait maintenant de matériels spécifiques. Le train roulait à 320 km/h. Tranquille Elon commença à mettre son linge à laver dans la laverie embarquée. Demi heure plus tard il le récupéra sec et se rendit vers la zone des sanitaires ou il prit une douche et s'habilla de frais. Tout cela ne l'occupa qu'une heure et quart, pour occuper le reste du temps de trajet, il se rendit vers la zone de jeu ou il entreprit une partie d'holoten avec un autre passager. C'était comme l'ancien tennis mais l'on tenait un écran en guise de raquette et l'on se renvoyait un hologramme de balle lumineuse.
Après deux heures et demi de trajet voici Bordeaux.
Le soleil se levait, il remonta dans sa machine avec une pleine autonomie et prit la route. Direction : la pointe de Graves. Une belle journée en perspective...