[Oldies] L'incroyable histoire de Kaaden et Degner! (MZ)

À première vue le sport et la politique n’ont pas grand-chose en commun. Mais quand on y regarde de plus près il est évident que très souvent la politique se sert publicitairement du sport pour atteindre les objectifs qu’elle vise. Pour cela elle courtise les sportifs, généralement peu concernés par elle, utilise leur popularité auprès de la grande masse de la population et renforce ainsi l’adhésion et sa puissance. En RDA cela fonctionna ainsi depuis le début et les pilotes ayant du succès étaient des panneaux publicitaires politiques qui pouvaient profiter pleinement de leurs privilèges. Les effets négatifs de la séparation d’avec l’Ouest, comme la limitation des déplacements et les barrières commerciales, y ont toujours été attribués aux manœuvres de « l’ennemi de classe » de l’Ouest.

Avec l’escalade de la guerre froide ces restrictions sont devenues de plus en plus draconiennes et, dès 1960, il y eut une forte diminution du nombre de visas de sortie du territoire, comme purent le constater à l’époque Dieter Hackebeil et Heinz Rosner. La fuite des habitants vers l’Ouest avait pris à cette époque une ampleur dangereuse pour la RDA et tout le monde se rendait compte que quelque chose allait se produire pour en finir avec cette situation. À ce moment quelques membres de l’équipe MZ pensèrent à la fuite mais y renoncèrent finalement à cause des inévitables représailles qui se seraient abattues sur la partie de la famille restant en RDA. Exfiltrer une famille complète n’était pas facile car aussi bien l’équipe que le cercle des amis était certainement pénétré par des informateurs de la Stasi.

Degner aussi pensait à l’évasion bien qu’en tant que star de l’équipe MZ il ait bénéficié de tous les privilèges possibles à l’Est, de la télévision jusqu’au luxe absolu représenté par le cabriolet Wartburg à deux places. Ce mélange de succès sportif et d’assistance venant de tous les cotés n’avait pas réellement aidé à structurer la personnalité de Degner et développait chez lui une certaine arrogance et renforçait l’égoïsme souvent présent chez les sportifs. De plus il avait pu avoir un aperçu du style de vie dispendieux que les pilotes de pointe de l’Ouest pouvaient s’offrir et que lui ne pourrait jamais se permettre en restant à l’Est. Jusqu’en 1960 il n’avait pas entrevu de perspective en tant que pilote professionnel à l’Ouest qui lui semblait plus favorable que celle qu’il occupait dans l’équipe MZ. Cela commença à devenir intéressant pour lui en tant que spécialiste du deux temps, quand Suzuki, après sa première participation au TT en 1960, annonça son intention de disputer le Championnat du Monde l’année suivante. Leurs moteurs étaient construits sur le modèle MZ mais restaient très loin des performances des moteurs de Zschopau. Et comme les Japonais - il suffisait de voir l’exemple de Honda – se lançaient toujours dans l’aventure avec une débauche de moyens, un changement d’écurie était tentant, bien que difficile à mettre en œuvre.

Il existait à Beckingen en Sarre un nommé Paul Petry, ex-pilote de course, préparateur confirmé de moteurs et homme d’affaires avisé dans le secteur du deux roues. Il vendait les IFA/MZ de l’importateur sarrois Strauch et, intéressé en tant que technicien, il avait noué très tôt des contacts avec l’équipe MZ lors des courses de Saint-Wendel. Il y avait rencontré Degner qui à cette période pouvait se déplacer librement avec sa voiture et ils s’étaient liés d’amitié. Petry prouva ses connaissances techniques en construisant en 1960 un Kreidler à distributeur rotatif très rapide avec lequel il obtint des succès avec son pilote Adolf Klein dans la « Moto-Cup » durant quelques années. Ce bon technicien doublé d’un bon organisateur était la personne qu’il fallait à Degner pour mettre sur pied un éventuel passage à l’Ouest. Les préparatifs de cette affaire étaient assez mal définis au début, mais se précisèrent au début de la saison 1961 lorsque les deux se rendirent compte que leur savoir-faire était exactement ce qui manquait à Suzuki qui stagnait toujours en queue de peloton. Dès qu’il en prit conscience Petry se mit immédiatement en relation avec Jimmy Matsumiya, le team-manager de Suzuki, qui dirigeait alors l’engagement sportif des Japonais depuis Londres. Lors d’un entretien personnel il lui proposa sa collaboration en tant que spécialiste du deux temps pour le développement des machines de course Suzuki ainsi que la collaboration d’Ernst Degner en tant que pilote et technicien. Cette proposition était particulièrement alléchante pour Matsumiya mais il n’accepta pas immédiatement, n’étant pas complètement sûr des assertions de Petry concernant Degner. Seul un entretien direct avec Degner pouvait éclaircir cette question mais, avec la surveillance paranoïaque dont l’équipe MZ faisait l’objet, ce n’était pas si simple.

Un coup de dés dans le choix de la résidence lors du TT à l’Île de Man put mener la chose à bien... Degner avait déjà anticipé ce moment en se montant dans les ateliers de la section sport officieusement et à titre privé une machine avec laquelle il pensait pouvoir garder ses chances au Championnat du Monde dans l’éventualité d’une séparation d’avec MZ. Le moteur utilisé était un des modèles d’essai à cylindre horizontal, à savoir une version à distributeur rotatif latéral qui n’avait plus été réellement testée depuis l’abandon de ce projet en 1957. Retravaillé avec les diagrammes de distribution les plus récents et un pot de détente dernier cri, ce moteur, que Degner avait très officiellement acheté à vil prix, développa lors d’un passage au banc mené par Lothar Reese l’étonnante puissance de 24 ch. Pendant la période de Noël Georg Weber, le vieux et expérimenté spécialiste des cadres, adapta clandestinement ce moteur dans une vielle partie cycle de 125 modifiée. La moto fut complètement terminée avant le début de la saison et fut exportée vers l’Ouest en contrebande en pièces détachées avant le GP de Hockenheim. Tout cela s’était passé sans trop attirer l’attention ce qui, même en tenant compte de la popularité et du capital confiance dont bénéficiait Degner, était pour le moins étonnant. Tout aussi surprenant fut le grand intérêt que Degner montra au début de 1961 pour la technique des moteurs de course et les nombreuses questions qu’il se mit à poser. Reese fut alors ébahi par le soudain besoin de connaissances de Degner : « Degner n’avait jamais autant travaillé que ces mois là » se souvient-il encore aujourd’hui.


Il s’était ainsi constitué un capital technique sur le deux temps ainsi qu’une moto compétitive pour son projet de passage à l’Ouest. Cette moto n’a jamais été remontée et engagée à l’Ouest, mais les pièces ont été vendues plus tard à Stuttgart. Le propriétaire d’alors monta la moto avec une fourche télescopique Zündapp, mais ne l’engagea jamais non plus. Ce n’est que le propriétaire suivant, Siegfried Möhringer de Pfûllingen qui lui fit prendre le départ de courses junior au milieu de la saison 1966. Elle fut supérieure à la concurrence dès ses débuts et devint imbattable après que Möhringer l’eut équipée d’un refroidissement liquide partiel pour la saison 67. Le titre Junior de 67 qu’il avait gagné facilement et sans opposition lui ouvrit les portes de l’écurie « Neckermann-MZ » en 1968 où il courut avec Dieter Braun et Lothar John les années suivantes. La moto au cylindre horizontal fut encore engagée sporadiquement après 1967 par divers pilotes mais ne réussit jamais à renouer avec les succès de Möhringer.


Mais revenons à Degner et à la saison 1961 : durant le TT 1961 l’équipe MZ descendit dans le même hôtel que l’équipe Suzuki, l’hôtel Fernleigh – purement par hasard évidemment... – et les conversations discrètes souhaitées entre Jimmy Matsumiya et Degner purent avoir lieu. Degner y exprima clairement sa volonté d’émigrer à l’Ouest et son souhait de collaborer avec Suzuki. La décision des Japonais de travailler avec lui tomba lors d’une réunion de crise à la suite du TT qui avait été désastreux pour eux. On y admit qu’un développement interne efficace coûterait beaucoup de temps et d’argent sans garantir une compétitivité rapide. Il semblait plus raisonnable d’acheter une technologie existante et deux options étaient sur le tapis : Joe Ehrlich et Ernst Degner. Le choix se porta sur Degner parce que le refroidissement à eau d’Ehrlich paraissait suspect aux yeux des Japonais et que la MZ avec son refroidissement à air plus simple sortait la plus grande puissance.

Immédiatement Paul Petry, en tant que négociateur pour Degner, rédigea un contrat juridiquement sécurisé qui tenait compte d’un coté de la partie financière et de la suite de la carrière de Degner et d’autre part des intérêts de Suzuki. Il y était stipulé que Degner devait fournir la dernière technologie des cylindres et des pistons et qu’au Japon, après la saison 1961, il devrait porter la puissance du moteur à 22 ch. Petry avait mis la barre financière très haut mais le Président Shunzo Suzuki qui avait fait le déplacement pour Assen, n’avait plus d’autre choix et accepta ce contrat à l’occasion d’une rencontre ultra-secrète à l’Hôtel Norge durant le week-end de la course. Il restait à résoudre un grand problème : l’exfiltration de Gerda, la femme de Degner et leur deux enfants, Boris et Olaf, âgés respectivement de 2 et 27 mois.

À cette époque il était encore relativement facile de passer en zone Ouest de Berlin par la S-Bahn puis de prendre l’avion vers la RFA et c’est donc ainsi que fut prévue la fuite qui devait avoir lieu à l’occasion d’un déplacement à l’Ouest de Degner. Ce plan fut rendu complètement impossible car dans la nuit de samedi à dimanche le 13 août, par surprise, la RDA ferma complètement la frontière entre secteurs à Berlin pour préparer la construction du mur. La séparation totale Est/Ouest était consommée et les fuites vers l’Ouest, jusque là relativement faciles à mettre sur pied, étaient rendues considérablement plus difficiles sinon impossibles. C’est un Degner particulièrement énervé qui revint à Zschopau après l’Ulster. « Tu te tirerais si tu connaissais une combine ? » demanda-t-il à Hackebeil qui avait des opinions similaires, une question qui résonna plus tard différemment dans l’esprit de celui ci. Comme cette nouvelle situation faisait qu’il n’était plus possible de fuir qu’à l’occasion d’un déplacement à l’étranger, on ne pouvait plus qu’attendre Monza début septembre. Mais cette tentative avorta car Paul Petry n’était pas prêt avec les préparatifs nécessaires, complexes et voraces en temps. Cela comprenait quelques déplacements pour Berlin et retour pour arranger un passage en douane avec une voiture adaptée aux conditions d’une fuite. Finalement on choisit Helmstedt(1) où Petry avec sa peu discrète Lincoln Mercury fut rapidement connu comme un homme d’affaires qui se déplaçait continuellement. Environ deux semaines plus tard tout fut enfin prêt, le mercredi avant le GP de Suède. Degner, venu en voiture avec sa famille, rejoignit Petry dans un parking prévu à l’avance sur la route de transit. Celui ci avait spécialement aménagé le coffre de sa Lincoln et Gerda et les deux gamins sous somnifère s’y glissèrent. Petry était décidé et prêt à toute éventualité, y compris une fuite plein gaz, mais il eut de la chance et les douaniers lui firent signe de passer sans aucun contrôle. Entre temps Degner avait poursuivi sa route vers Sassnitz où il devait prendre le bac pour la Suède.

Il y apprit par téléphone en mots codés le succès de la fuite et, une fois en Suède, une autre conversation téléphonique lui donna les détails et lui apprit que tout s’était passé comme prévu et sans aucune complication. Le GP de Suède par contre ne se passa pas comme prévu et Degner quitta le parc coureur avant la course des 500 avec sa voiture déjà chargée et prit la direction du Danemark. Durant ce voyage il fut accompagné discrètement par Matsumiya et un autre japonais dans une voiture de location. Avant l’embarquement, Matsumiya tint à voir les pièces qu’il devait livrer conformément à son contrat. Ainsi les Japonais étaient sûrs de démarrer la saison suivante au même niveau que MZ en 1961.

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(1) Connus en tant que „Checkpoint Alpha“ par les alliés, les postes de douane de Helmstedt se trouvaient sur l’autoroute 2 Hanovre-Berlin.